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Une pluie, trois transports

Gbaka
Mini bus communément appelé Gbaka (crédit photo: linfodrome.com)

Adjamé – en bas du pont, il est 19h. Une foule s’amasse progressivement le long de la voie. On sent une excitation et un empressement dans les comportements.

Chacun veut rentrer à la maison au plus vite après une journée éprouvante mais les gbakas* se font de plus en plus rare. Tous arrivent à notre niveau déjà bourrés et les apprentis ne cessent de nous narguer.

« Eeeh ! Adjamé à cette heure devient dangereux, surtout avec cette affaire de microbes** de plus en plus récurrente », s’inquiète une dame aux formes généreuses qui, je l’espère, ne sera pas ma voisine de siège dans le véhicule.

Pour dire vrai, elle n’a pas du tout tort. Cet endroit précis de la commune d’Adjamé à la tombée de la nuit n’a pas bonne réputation. Dans cette foule qui s’amasse, tous ne sommes pas là pour la bonne cause. Et il n’est pas rare de constater la disparition de son porte-monnaie comme par enchantement. Autant dire que les brebis apeurées sont sur le territoire des loups.

L’air s’est peu à peu rafraîchi. Un léger vent se lève de temps à autres et fait tournoyer des emballages plastiques jonchant la chaussée.

Un éclair super lumineux suivi d’un coup de tonnerre violant nous annoncent ce qui nous attend dans les minutes à venir. L’excitation monte d’un cran. La lutte pour l’accès aux portes des gbakas s’intensifie.

Tenant l’arrière du boubou d’un homme, deux femmes luttent avec la dernière énergie pour avoir le précieux sésame.

« La galanterie est déjà rentrée chez elle ce soir », me suis-je dit.

Il faut s’aider des pieds, des coudes et autres astuces pour espérer y arriver. Ma bouche et mon nez se retrouvent projetés et collés contre les aisselles humides et pestilentielles du jeune homme devant moi, vêtu d’un t-shirt sans manche. J’ai encore la chair de poule en me remémorant ce goût salé et piquant.

Au même moment, de grosses gouttes de pluie fouettent mon visage. Aucun abri sûr ne peut nous accueillir, il faut coûte que coûte partir au plus vite.

« Abobo-gare, direct, 500fcfa avec la monnaie », lance l’apprenti du gbaka qui vient d’arriver en battant violemment la portière du véhicule.

« 500 là, ça c’est trois transports ! », s’exclame une femme qui semble avoir de sérieux problèmes avec la langue de Molière.

« La vielle si tu veux, tu peux dormir ici. Tu ne vois pas la pluie là », continue l’apprenti.

En effet, aux heures creuses, le transport pour cette même ligne coûte 100fcfa et aux heures de pointe 150fcfa, soit trois fois moins que le prix de ce soir. On dira 200% de bénéfices pour l’apprenti et son dioulatchè***.

Le cœur serré, nous empruntons le minibus et payons les « trois transports ».

*Mini bus de transport entre certaines communes d’Abidjan
**Nouveau phénomène d’enfants gangsters braquant à l’arme blanche
***Patron ou propriétaire du mini bus de transport
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Auteur·e

jallaski

Commentaires

Mawulolo
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C'est même un peu plus de 3 transports hein c'est entre 3,33 et 5...
:D Très beau billet

Jallaski
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Effectivement!

Meem Shoomeatove
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Ton texte est une photographie, j'ai l'impression de vivre la scène!