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Salubrité en Côte d’Ivoire, le retour de « maman bulldozer »

Nous sommes en 2012 et « maman bulldozer* » fait fort.

« Je ne savais pas que les trottoirs du boulevard Nangui Abrogoua à Adjamé pouvaient être si propres et dégagés. Regarde, on aperçoit même les premiers bâtiments du Plateau là-bas au loin »,

« Hum ! Donc il y avait une voie bitumée par ici et on faisait un grand détour. Le marché de Sicogi de Yopougou avait occupé à lui seul près de 300m de voirie »,

« C’est l’anarchie au pays mon frère, même les maquis et les boîtes de nuit sauvagement construits à la rue princesse de Yopougou viennent d’être rasés par maman bulldozer ».

Les ivoiriens découvrent Abidjan sous un nouveau jour.

Des kilomètres de constructions anarchiques détruites, des déguerpissements forcés, des ratissages des vendeurs ambulants, le nettoyage des dépôts sauvages d’ordures, l’ouverture des ouvrages de drainage des eaux obstrués par des constructions sur les caniveaux, même les arrêts incontrôlés des gbakas* et autres véhicules de transport en pleine chaussée pour déverser leurs clients ont cessé.

« On respire mieux à Abidjan maintenant », entendait-on.

Autant d’actions qui ont valu à cette dame de fer les félicitations du gouvernement pour le travail abattu et l’affectueux surnom de « maman bulldozer » par les ivoiriens, car la casse elle connait!

Mais apparemment toutes ces actions de l’imposante Anne Désirée Ouloto, imposante dans la forme et dans le fond, ministre de la salubrité urbaine, n’ont pas dû plaire à tout le monde. Un remaniement ministériel en novembre 2012, lui confie un nouveau portefeuille, celui de la famille et de la protection de l’enfant. Les loups aux longues dents tapis dans l’ombre y sont probablement pour quelque chose.

En moins d’un claquement de doigts, c’est le retour au chaos habituel. Je comprends mieux maintenant l’expression : « Chassez le naturel et il reviendra au galop ».

Nos loups et maîtres loups libérés s’adonnent au rattrapage des fonds perdus dans cette affaire de déguerpissement. Les commerçants sur les places publiques sont revenus plus nombreux que jamais. Le business à Nangui Abrogoua et dans les autres marchés d’Abidjan est redevenu florissant. Les billeteurs* des mairies ont retrouvé le sourire et les installations sur les trottoirs vont bon train. Les chauffeurs des véhicules de transport ont également réinvesti les trottoirs et les chaussées, pourvus que les bandes de gnambros* qui règnent en maître sur les trottoirs et autres carrefours reçoivent leur kish*. Les montagnes d’immondices ont inévitablement repris leur place.

« Au-delà du mental, le problème de l’Afrique est génétique », dixit les patrons*.

Drôle d’élus locaux que nous avons. Il n’y a jamais assez d’argent pour les travaux publics, rien ne marche, mais leur train de vie lui ne sait plus marcher, il court et s’envole.

Vraiment, si ce n’est génétique, quel est donc le problème ?

Le retour de maman bulldozer au poste de ministre la salubrité urbaine et de l’assainissement depuis janvier 2016 suscite beaucoup d’espoir. Les échos des activités en cours de réalisation par son ministère sont bons pour redorer le visage d’Abidjan et même des villes de l’intérieur du pays.

L’opération zéro tolérance lancée fait déjà tâche d’huile. Mais tout ce travail ne pourra se faire qu’avec le soutien des élus et des collectivités territoriales. Autant dire que ça va barder.

*maman bulldozer : surnom donné au ministre de la salubrité au vu des nombreuses actions de casse qu’elle a entrepris et aussi à cause sa forme généreuse ;
*gbaka : mini-bus de transport intercommunal ;
*billeteur : surnom donné agents communaux commis pour la distribution et le recouvrement des taxes auprès de commerçants dans et aux abords des marchés ;
*gnambro : groupe de jeunes autoproclamés syndicats qui perçoivent des taxes lorsque les véhicules de transport garent et prennent des passagers sur leur territoire ;
*kish : argent;
*les patrons : un groupe d’artiste zouglou.
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Auteur·e

jallaski

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