Crédit:

Agriculture égyptienne, un géant au pied d’argile (2)

Parcelles agricoles aménagées en bordure du Nil (crédit photo: www.news.nationalgeographic.com)
Parcelles agricoles aménagées en bordure du Nil (crédit photo: www.news.nationalgeographic.com)

Parler d’agriculture en Egypte revient à parler inévitablement du Nil.

Le Nil est le deuxième plus long fleuve du monde. Sa longueur est d’environ 6500 kilomètres. Il parcourt 8 pays : le Rwanda, le Burundi, la Tanzanie, l’Ouganda, l’Ethiopie, le Soudan du Sud, le Soudan et l’Egypte, il borde le Kenya et la République Démocratique du Congo.

Agriculture nouvelle, problème nouveau

Le territoire égyptien étant composé en grande partie de terres désertiques ou arides, 95% de la population se concentre dans le delta et la vallée du Nil, soit environ 33% du territoire total. Cela fait du delta du Nil l’une des régions les plus densément peuplées de la planète avec environ 1540 habitants au kilomètre carré.

La capitale (le Caire) regroupe presqu’un dixième de la population totale. Cette urbanisation va de pair avec une destruction des terres agricoles dans ces mêmes zones qui sont pourtant des terres de hautes qualités pour les cultures.

Jadis, l’Egypte se caractérisait par une agriculture de décrue. Elle consistait à cultiver des terres noyées par la crue annuelle du Nil. Cela permettait de noyer le sol et de recharger la nappe qui se mettait à affleurer. L’abaissement progressif de la nappe avec la décrue laissait suffisamment d’eau et de sédiments pour permettre la plantation de céréales et de légumineuses.

La culture sur décrue a été améliorée par la création d’aménagements hydrauliques afin d’augmenter la surface cultivable. La qualité de cette agriculture donnait d’assez bons rendements avec même l’exportation de l’excédent.

Ces modifications du système hydro-agricole ont ainsi permis d’introduire de nombreuses plantes particulièrement gourmandes en eau : le coton, la canne à sucre et les agrumes. La construction du haut barrage d’Assouan en 1970 représentait alors le summum de l’innovation pour l’agriculture.

Cependant, à cause de ce barrage, il n’y a plus de crues et le Nil n’est plus que l’épine dorsale d’un système généralisé d’irrigation par canaux. Toutes les surfaces cultivées actuellement sont irriguées. Plus de 80% des eaux prélevées le sont pour l’agriculture. La capacité agricole de l’Egypte semble être à son maximum.

L’agriculture irriguée est aujourd’hui au cœur de l’économie égyptienne et représente près de 11% du PIB du pays.

Les cultures pratiquées sont extrêmement intensives. Les aires cultivées portent aujourd’hui deux à trois cultures par an. Malgré cela, les exportations agricoles de l’Egypte sont loin de compenser les importations dont elles représentent moins de 10% en valeur.

De plus, la population égyptienne ne cesse d’augmenter. Elle est estimée à plus de 85 millions d’habitants. La forte demande alimentaire oblige le pays à développer sa capacité agricole en agriculture vivrière.

Des projets de grande envergure pour l’irrigation sont constamment réalisés. L’eau du Nil est très sollicitée, si bien que peu d’eau atteint désormais la mer ce qui pose des problèmes écologiques surtout au niveau de la faune aquatique.

Bientôt la guerre du Nil

Les sept autres pays, sus-cités, en aval du Nil ont également pour seule ressource en eau le fleuve.

L’hégémonie de l’Egypte dans cette zone lui permet actuellement de s’accaparer d’une part importante de ces eaux mais l’Ethiopie et le Soudan, en amont, cherchent à utiliser plus d’eau pour l’irrigation ou l’hydro-électricité ce qui engendre des tensions entre Etats.

Site de construction du barrage de Grande renaissance en Ethiopie (crédit photo: www.agenceecofin.com)
Site de construction du barrage de Grande renaissance en Ethiopie (crédit photo: www.agenceecofin.com)

La construction du barrage de Grande renaissance en Ethiopie a sonné le glas des relations avec l’Egypte et les supputations vont bon train. Certaines informations font même état du désir de l’Ethiopie de détourner purement et simplement le Nil de sa course actuelle pour irriguer abondamment ses terres agricoles. Les nombreux pourparlers entre les différents pays ont fait prendre du retard au projet qui était prévu pour être achevé en 2015.

Motuma Mekassa, ministre éthiopien de l’eau, de l’irrigation et de l’énergie, a réitéré en février dernier la volonté de son pays de conduire à terme cette infrastructure pharaonique au nez et à la barbe des pharaons.

Tous ces pays seront confrontés à une compétition pour l’eau entre l’agriculture vivrière, qui doit nourrir la population, et l’agriculture d’exportation. L’augmentation démographique combinée avec les risques climatiques et le développement des activités agricoles et industrielles risque d’engendrer des tensions liées à l’usage et la répartition des ressources en eau.

L’agriculture égyptienne, belle et productive, mais pour combien de temps encore ? Le Nil s’essouffle déjà.

Références:
– Banque Mondiale. Agriculture, valeur ajoutée (% du PIB 2011-2015), https://données.banquesmondiale.org/indicateur.NV.AGRI.TOTL.ZS, juin 2016.
– Hélène Leman et Brice Auvet. Agriculture et eau : Le cas du Nil. Atelier : l’eau Qualité vs Quantité, Ecole Normale Supérieure, CERES-ERTI, 2013.
– Selim Jahan. Rapport sur le développement humain. Programme des Nations Unies pour le développement, 2015.
Partagez

Auteur·e

jallaski

Commentaires