Jallaski

Un regard, un sourire, un acte insouciant mais salutaire

Il est environ 10h ce matin-là à Korondougou, petit village situé à 19 km au sud d’Odienné. La cour de l’école primaire publique reprend vie.

Les oiseaux perchés dans les feuillages des arbres de l’école semblent étonnés de revoir ces petits garnements bruyant venir troubler leur quiétude. Pourtant, c’est la période des vacances scolaires depuis quelques semaines et les écoliers ont rangé loin, cartables et manuels scolaires.

Les élèves des classes de CE2*, CM1* et CM2*, convoqués par le directeur de l’école, sont sur leur 31* et attendent devant leurs salles de classes respectives. Les tenues scolaires kakis pour les garçons et bleues-blancs pour les filles ont été soigneusement lavées, rafistolées pour certains et dressées pour la circonstance.

« Monsieur le Directeur, notre activité de ce matin est plutôt salissante, les élèves auraient dû venir dans des tenues diverses de leur choix ».

Le directeur m’explique en souriant comment le griot du village est passé de cour en cour pour stresser les parents sur l’activité et le dressing code des élèves.

« En tous cas demain, personne ne dira que le griot ne fait pas bien son travail », ajoute le directeur.

En plus de la soixantaine d’élèves, tous les instituteurs de l’école et les représentants de la chefferie sont présents.

Après la cérémonie de bienvenue, l’activité commence avec les élèves.

Séance de démonstration du planting aux élèves
Séance de démonstration du planting aux élèves

En des termes simples, j’explique aux élèves réunis sur la parcelle à reboiser ce qu’est une plante, ses différentes parties, comment on obtient les pépinières à partir des graines et la phase tant attendue du planting.

Attentifs, ils écoutent les explications et regardent les étapes pour mettre le plant en terre :

  • ouverture délicate du bas du sachet du plant ;
  • dépôt du plant dans le trou et retrait de tout le sachet de pépinière ;
  • fermeture du trou en commençant d’abord par la terre noire puis la terre moins noire, dans notre cas ocre ou rouge suivant votre sensibilité.

(Notons que des instructions avaient été laissées aux jeunes du village chargés de la trouaison pour séparer la terre de surface noire et celle du fond ocre).

Planting en utilisant la terre noir pour remplir le trou et ensuite la terre ocre ou rouge
Planting en utilisant la terre noir pour remplir le trou et ensuite la terre ocre ou rouge

On sent monter l’excitation des enfants d’en découdre avec cette affaire de planting. Mais il faut bien s’assurer que « c’est bien rentré dans les tibias »*. Deux élèves, une fille et un garçon, viennent répéter l’opération devant les autres. Parfait ! On peut lâcher les loups.

En rang et par groupe de deux sous la conduite des enseignants, les élèves vont chercher les plants convoyés ce matin même pour réaliser le planting (une pépinière pour l’école étant prévue à la rentrée prochaine pour poursuivre les reboisements sur 6ha au total).

A cet exercice-là, B.Y, à qui nous avions voulu interdire l’accès au site pour manque de chaussure, m’a beaucoup impressionné. Ses allers-retours rapides pour récupérer les plants et faire le planting ont mis K.O son binôme qui n’arrive pas à suivre son rythme.

Vue de la parcelle de reboisement et des élèves en pleine activité
Vue de la parcelle de reboisement et des élèves en pleine activité

En moins de 2 heures, les 1667 plants de tecks (Tectona grandis) sont mis en terre sur les 2 hectares préalablement préparés (écartement de planting : 3mx4m).

Le regard vif et le sourire aux lèvres, B.Y et son binôme (image 1) ont mis en terre pas moins 50 plants soit environ deux fois plus que les autres élèves. Ils remportent haut les mains ce que j’ai dénommé « la palme du reboiseur ». Le prix : un gros paquet de biscuits. Des friandises sont également distribuées à tous les autres élèves.

Le planting d’arbre, un acte anodin pour ces enfants plutôt amusés par l’activité, mais ô combien important pour notre planète qui ne cesse de subir les affres des changements climatiques.

*CE2 : Cours Élémentaire 2ère année
*CM1 et CM2 : Cous Moyen 1ère et 2ème année
*Etre sur son 31 : porter un habit de fête, en référence au 31 décembre du nouvel an.
*C’est bien rentré dans les tibias : expression populaire pour dire que « bien assimilé »


Abidjan : le philosophe du « pile ou face »

« Je suis Ivoirien, tu es Ivoirien, nous sommes Ivoiriens, cette manière de s’exprimer a diablement évoluée aujourd’hui », dixit le philosophe.

Il n’y a plus d’ « Ivoiriens » dans les rues de babi*. J’ai eu l’occasion d’assister à un cours magistral à ce sujet dans un gbaka* en rentrant chez moi.

Assis à l’arrière du véhicule ce mec, le philosophe, a réponse à tout. Mais son humour débordant laisse souvent place à des discussions inutiles et enflammées avec ses voisins de sièges qui ne lâchent pas l’affaire.

Comme toujours, les sujets politiques tiennent en haleine et passionnent les foules. Et cet anonyme semble versé dans les rouages de cette science. Ce soir-là nous voilà plongés dans le pro gbagbo-isme et le pro ado-isme.

Les pro Gbagbo ou LMP sont les partisans de l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo et les pro ADO ou RHDP sont les partisans du président actuel Alassane Ouattara. La crise politico-militaire qu’a traversée le pays a conduit à la naissance de ces deux blocs, encore sources de tensions aujourd’hui.

Notre philosophe du jour modère les débats en discriminant les intervenants dans l’un ou l’autre bloc.

– « …tu vois par exemple comment le bitume est en piteux état sur cette voie », lance un jeune homme ;

– « Ça, c’est ton coté LMP qui parle cher ami », réplique le philosophe ;

– « Actuellement, les tas d’immondices jonchent le long des voies de la ville. Abidjan est devenu trop sale même », ajoute un autre.

le philosophe : « Toi tu es aussi LMP à ce que je vois » ;

– « Mais vous ne voyez pas tous les efforts qui sont faits, les ponts, les échangeurs et autres investissements. C’est le développement, le pays avance », renchérit un autre ;

le philosophe : « Voilà un RHDP qui se réveille, prêche mon frère ! », ironise-t-il ;

– « On parle d’insécurité et de cherté sur les marchés et toi tu parles de pont, c’est ça on mange à Abidjan ici », ajoute vigoureusement un homme qui a l’air assez âgé ;

le philosophe : « Un LMP pur et dur celui-là. Les temps ont changé mon vieux » ;

– « Franchement, les nombreux emplois créés et les projets pour sortir les jeunes de la pauvreté sont à encourager. Le gouvernement fait de son mieux », explique un passager à ma droite ;

le philosophe : « Lui c’est un ministre RHDP on dirait », dit-il d’un ton moqueur ;

– « Regarde la réhabilitation des universités du pays, c’est une fierté », ajoute une autre femme ;

le philosophe : « RHDP tu es ma sœur », dit-il en montrant la femme du doigt ;

– « Mais, tu parles de quoi. Tu es déjà arrivée à l’université là-bas, il n’y a même pas de matériel de travail pour les enseignants et les étudiants », reproche l’homme âgé de tout à l’heure ;

le philosophe : « Attaquant LMP ce vieux », se tord-t-il de rire ;

– « Ne dis pas ça Youssouf, regarde plutôt le meilleur avenir qui attends les étudiants », reprend la même femme ;

le philosophe : « Quoi ? Mais le vieux Youssouf tu es du nord du pays mais tu parles comme un LMP, qu’est-ce qui n’a pas marché », demande-t-il étonné ;

– « Je ne suis pas LMP mon ami, j’ai mal au cœur c’est tout », reprend Youssouf ;

– « … ».

C’est un minibus bruyant et plein de LMP et de RHDP que je quitte en arrivant à mon arrêt. Si tu n’es pas l’un, c’est que tu es l’autre nous a enseigné notre philosophe du jour.

« C’est une affaire de pile ou face », a-t-il expliqué avec humour.

En y réfléchissant, que suis-je ?, qu’es-tu ? LMP ou RHDP?, pile ou face?

Dans de nombreux pays surtout en Afrique, les manigances politiques divisent les populations en deux ou plusieurs clans prêts à s’entre-déchirer au nom d’un tribalisme ou d’un régionalisme qui n’a pas sa place. De telle sorte que, quoique le gouvernement en place réalise, l’écho est négatif pour l’autre camp. Pis, on mène même des actions pour nuire et empêcher certains projets de développement quand cela est possible.

C’est malheureusement le cas de ma belle Côte d’ Ivoire.

En ce qui me concerne, je n’ai pas encore réponse à cette interrogation. Peut-être parce que je n’ai jamais glissé un bulletin de vote dans une urne de ma vie. Pourtant ce n’est pas les occasions qui ont manquées.

Je suis probablement pro celui qui me nommera ministre.art_empreintes_8.3

*Babi: Abidjan en langage populaire ivoirien

*Gbaka: minibus de transport


Mondoblogeur, Mondojournaliste, Mondo…

Il y a des discussions dont on ne sait plus comment elles ont commencées mais qui vous marquent.

Comme très souvent dans les quartiers populaires d’Abidjan, les parents se retrouvent avec les voisins ou avec d’autres amis du quartier pour, dit-on, tuer le temps…

Cet après-midi-là, j’avais décidé de faire un petit tour en famille. Mon père était assis avec son meilleur pote du quartier et cela faisait un bon petit moment qu’ils discutaient.

Ordinateur sous le bras et écouteur au cou je suis venu m’installer sur une chaise, juste à côté d’eux pour rechercher un peu d’inspiration et pour terminer un article pour Mondoblog.

J’entend mon père dire : « Ah lui ! Il est devenu journaliste maintenant  ! Il est sur internet pour rfi »

Je suis au centre de leur causerie apparemment.

« Journaliste ? » , cela me fait sourire intérieurement.

« Il passe tout son temps libre à coucher des mots sur le papier et sur internet, c’est un vrai journaliste je te dis », continue-t-il.

Je ne sais pas si je suis un journaliste. Je sais juste que je ne couche pas les mots : je les mets debout, je les fais danser, je les fais valser.

Je n’écris pas simplement mais je pianote. J’aime les sons, les rimes et la sonorité des mots.

Sous ma plume, les consonnes libèrent en zouglou* pendant que je coupe et décale* les voyelles.

Tout le texte vibre aux sons et aux couleurs des sonorités bien ivoiriennes.

Ainsi, le vocabulaire se fond dans l’harmonie d’un bôlo-super* au clair de lune.

L’orthographe s’envole en kpaklo* et retombe en okin-ninkpin*.

La grammaire se débrouille en kpangô*, la danse des grand-mères, mais elle n’est jamais fatiguée fatiguée*.

La conjugaison quant à elle juge la garnison de temps en temps.

Puis je publie ce savant cocktail  sur le site mondoblog.org.

Mais disons-le tout haut et en chanson:

« au commencement de Mondoblog, moi je n’étais pas préseeeent, c’est quand le wagon passait que je suis monté dedans aussiiiiii ! Yoyo yo ! Hip-hop ! Yoyo yo ! Mondoblog Yoyo yo ! », dixit Yodé et Siro**

Après mon inscription pour la 5e édition, j’ai reçu un e-mail m’indiquant que je pouvais participer à cette merveilleuse aventure qu’est Mondoblog, une tribune d’expression libre 2.0.

Bref ! Aujourd’hui, je suis Mondoblogueur, peut être Mondojournaliste ou encore Mondo…

Aider moi à expliquer cela à mon père et à son pote.

Connaisseur connaît, gaou passe !

* Noms de danses populaires en Côte d’Ivoire : zouglou, coupé et décalé, bôlo-super, kpaklo, okin-ninkpin, kpangô, fatigué fatigué.
** Extrait tiré d’une chanson des artistes ivoiriens Yodé et Siro. Remplacez « Mondoblog » par « zouglou » et vous aurez le texte original de la chanson.


Agriculture égyptienne, un géant au pied d’argile (2)

Parcelles agricoles aménagées en bordure du Nil (crédit photo: www.news.nationalgeographic.com)
Parcelles agricoles aménagées en bordure du Nil (crédit photo: www.news.nationalgeographic.com)

Parler d’agriculture en Egypte revient à parler inévitablement du Nil.

Le Nil est le deuxième plus long fleuve du monde. Sa longueur est d’environ 6500 kilomètres. Il parcourt 8 pays : le Rwanda, le Burundi, la Tanzanie, l’Ouganda, l’Ethiopie, le Soudan du Sud, le Soudan et l’Egypte, il borde le Kenya et la République Démocratique du Congo.

Agriculture nouvelle, problème nouveau

Le territoire égyptien étant composé en grande partie de terres désertiques ou arides, 95% de la population se concentre dans le delta et la vallée du Nil, soit environ 33% du territoire total. Cela fait du delta du Nil l’une des régions les plus densément peuplées de la planète avec environ 1540 habitants au kilomètre carré.

La capitale (le Caire) regroupe presqu’un dixième de la population totale. Cette urbanisation va de pair avec une destruction des terres agricoles dans ces mêmes zones qui sont pourtant des terres de hautes qualités pour les cultures.

Jadis, l’Egypte se caractérisait par une agriculture de décrue. Elle consistait à cultiver des terres noyées par la crue annuelle du Nil. Cela permettait de noyer le sol et de recharger la nappe qui se mettait à affleurer. L’abaissement progressif de la nappe avec la décrue laissait suffisamment d’eau et de sédiments pour permettre la plantation de céréales et de légumineuses.

La culture sur décrue a été améliorée par la création d’aménagements hydrauliques afin d’augmenter la surface cultivable. La qualité de cette agriculture donnait d’assez bons rendements avec même l’exportation de l’excédent.

Ces modifications du système hydro-agricole ont ainsi permis d’introduire de nombreuses plantes particulièrement gourmandes en eau : le coton, la canne à sucre et les agrumes. La construction du haut barrage d’Assouan en 1970 représentait alors le summum de l’innovation pour l’agriculture.

Cependant, à cause de ce barrage, il n’y a plus de crues et le Nil n’est plus que l’épine dorsale d’un système généralisé d’irrigation par canaux. Toutes les surfaces cultivées actuellement sont irriguées. Plus de 80% des eaux prélevées le sont pour l’agriculture. La capacité agricole de l’Egypte semble être à son maximum.

L’agriculture irriguée est aujourd’hui au cœur de l’économie égyptienne et représente près de 11% du PIB du pays.

Les cultures pratiquées sont extrêmement intensives. Les aires cultivées portent aujourd’hui deux à trois cultures par an. Malgré cela, les exportations agricoles de l’Egypte sont loin de compenser les importations dont elles représentent moins de 10% en valeur.

De plus, la population égyptienne ne cesse d’augmenter. Elle est estimée à plus de 85 millions d’habitants. La forte demande alimentaire oblige le pays à développer sa capacité agricole en agriculture vivrière.

Des projets de grande envergure pour l’irrigation sont constamment réalisés. L’eau du Nil est très sollicitée, si bien que peu d’eau atteint désormais la mer ce qui pose des problèmes écologiques surtout au niveau de la faune aquatique.

Bientôt la guerre du Nil

Les sept autres pays, sus-cités, en aval du Nil ont également pour seule ressource en eau le fleuve.

L’hégémonie de l’Egypte dans cette zone lui permet actuellement de s’accaparer d’une part importante de ces eaux mais l’Ethiopie et le Soudan, en amont, cherchent à utiliser plus d’eau pour l’irrigation ou l’hydro-électricité ce qui engendre des tensions entre Etats.

Site de construction du barrage de Grande renaissance en Ethiopie (crédit photo: www.agenceecofin.com)
Site de construction du barrage de Grande renaissance en Ethiopie (crédit photo: www.agenceecofin.com)

La construction du barrage de Grande renaissance en Ethiopie a sonné le glas des relations avec l’Egypte et les supputations vont bon train. Certaines informations font même état du désir de l’Ethiopie de détourner purement et simplement le Nil de sa course actuelle pour irriguer abondamment ses terres agricoles. Les nombreux pourparlers entre les différents pays ont fait prendre du retard au projet qui était prévu pour être achevé en 2015.

Motuma Mekassa, ministre éthiopien de l’eau, de l’irrigation et de l’énergie, a réitéré en février dernier la volonté de son pays de conduire à terme cette infrastructure pharaonique au nez et à la barbe des pharaons.

Tous ces pays seront confrontés à une compétition pour l’eau entre l’agriculture vivrière, qui doit nourrir la population, et l’agriculture d’exportation. L’augmentation démographique combinée avec les risques climatiques et le développement des activités agricoles et industrielles risque d’engendrer des tensions liées à l’usage et la répartition des ressources en eau.

L’agriculture égyptienne, belle et productive, mais pour combien de temps encore ? Le Nil s’essouffle déjà.

Références:
– Banque Mondiale. Agriculture, valeur ajoutée (% du PIB 2011-2015), https://données.banquesmondiale.org/indicateur.NV.AGRI.TOTL.ZS, juin 2016.
– Hélène Leman et Brice Auvet. Agriculture et eau : Le cas du Nil. Atelier : l’eau Qualité vs Quantité, Ecole Normale Supérieure, CERES-ERTI, 2013.
– Selim Jahan. Rapport sur le développement humain. Programme des Nations Unies pour le développement, 2015.


Face à face microbien

Agression
Agression au couteau (crédit photo: Arcinfo.ch)

Abidjan est sous les eaux et cela n’est pas prêt de s’arrêter. Difficile en ce moment de vaquer librement à ses occupations car chaque fois, cet invité spécial vous fait tortiller votre programme.

« Quand ça se déclenche, soit pas dehors », comme on le dit ici.

D. une collègue l’apprendra à ses dépens.

La pluie est le nouveau filon utilisé par les gangsters au biberon appelés microbes qui terrorisent actuellement les abidjanais.

Avec un mode opératoire hors du commun et une parfaite coordination, ces filous arrivent à surprendre plus d’un et les femmes sont leurs proies privilégiées.

« Je n’ai rien vu venir. On courait tous sous la pluie et à ma grande surprise j’étais déjà prise en étau par deux enfants sous la menace de longs couteaux. Pris de panique, j’ai dû leur laisser mon sac avec tout ce que j’avais comme document personnel et argent. Heureusement, je n’ai pas été blessée », m’a-t-elle expliqué.

Profitant de la débandade sous la pluie et de la réduction de l’affluence dans certains endroits comme les gares et les marchés, surtout dans les communes d’Abobo et Yopougon, ces enfants que vous croirez en train de courir à vos côtés sous la pluie pour rejoindre leur domicile deviendront vite votre pire cauchemar.

Leurs outils de travail : des couteaux savamment limés, des morceaux de fer pointus et autres armes blanches facilement dissimulables. Il n’est pas exclu que certains possèdent même des armes à feu.

Apparemment l’« épervier* » lancé par le gouvernement n’arrive pas à voler sous la pluie.

En attendant, si vous courrez pour échapper à la pluie et que vous constatez au moins deux enfants derrière vous et qui semblent vous rattraper, ne vous posez pas de question devenez Hussein Bolt**

*Opération lancée par le gouvernement pour traquer ces gangsters nommés « microbes »
**Super star qui domine l’athlétisme mondial


Une pluie, trois transports

Gbaka
Mini bus communément appelé Gbaka (crédit photo: linfodrome.com)

Adjamé – en bas du pont, il est 19h. Une foule s’amasse progressivement le long de la voie. On sent une excitation et un empressement dans les comportements.

Chacun veut rentrer à la maison au plus vite après une journée éprouvante mais les gbakas* se font de plus en plus rare. Tous arrivent à notre niveau déjà bourrés et les apprentis ne cessent de nous narguer.

« Eeeh ! Adjamé à cette heure devient dangereux, surtout avec cette affaire de microbes** de plus en plus récurrente », s’inquiète une dame aux formes généreuses qui, je l’espère, ne sera pas ma voisine de siège dans le véhicule.

Pour dire vrai, elle n’a pas du tout tort. Cet endroit précis de la commune d’Adjamé à la tombée de la nuit n’a pas bonne réputation. Dans cette foule qui s’amasse, tous ne sommes pas là pour la bonne cause. Et il n’est pas rare de constater la disparition de son porte-monnaie comme par enchantement. Autant dire que les brebis apeurées sont sur le territoire des loups.

L’air s’est peu à peu rafraîchi. Un léger vent se lève de temps à autres et fait tournoyer des emballages plastiques jonchant la chaussée.

Un éclair super lumineux suivi d’un coup de tonnerre violant nous annoncent ce qui nous attend dans les minutes à venir. L’excitation monte d’un cran. La lutte pour l’accès aux portes des gbakas s’intensifie.

Tenant l’arrière du boubou d’un homme, deux femmes luttent avec la dernière énergie pour avoir le précieux sésame.

« La galanterie est déjà rentrée chez elle ce soir », me suis-je dit.

Il faut s’aider des pieds, des coudes et autres astuces pour espérer y arriver. Ma bouche et mon nez se retrouvent projetés et collés contre les aisselles humides et pestilentielles du jeune homme devant moi, vêtu d’un t-shirt sans manche. J’ai encore la chair de poule en me remémorant ce goût salé et piquant.

Au même moment, de grosses gouttes de pluie fouettent mon visage. Aucun abri sûr ne peut nous accueillir, il faut coûte que coûte partir au plus vite.

« Abobo-gare, direct, 500fcfa avec la monnaie », lance l’apprenti du gbaka qui vient d’arriver en battant violemment la portière du véhicule.

« 500 là, ça c’est trois transports ! », s’exclame une femme qui semble avoir de sérieux problèmes avec la langue de Molière.

« La vielle si tu veux, tu peux dormir ici. Tu ne vois pas la pluie là », continue l’apprenti.

En effet, aux heures creuses, le transport pour cette même ligne coûte 100fcfa et aux heures de pointe 150fcfa, soit trois fois moins que le prix de ce soir. On dira 200% de bénéfices pour l’apprenti et son dioulatchè***.

Le cœur serré, nous empruntons le minibus et payons les « trois transports ».

*Mini bus de transport entre certaines communes d’Abidjan
**Nouveau phénomène d’enfants gangsters braquant à l’arme blanche
***Patron ou propriétaire du mini bus de transport